Echo Avenue review
Posted: Fri Nov 12, 2004 8:41 am
This one comes from our French friend Patrice:
La répétition
C'est sous ce signe qu'est résolument placé le nouvel - et superbe - album de Leonard Cohen, Dear Heather. Un disque où le poète canadien pousse à l'extrême le minimalisme de son propre chant et de l'orchestration, pour rehausser encore quelques déjà chefs d'œuvres.
On ne plaçait pas, dans le dernier album de Leonard Cohen, autant d'espoirs que suscita l'attente de Ten News Songs. Entre ces deux disques, trois ans seulement se sont écoulés, un délai presque suspect pour le canadien puisqu'il avait fallu patienter neuf ans après la sortie de The Future en 1992, qui lui-même survenait quatre ans après I'm Your Man. Double surprise, Dear Heather, sorti ce mois d'octobre, est au moins aussi bon que ses deux prédécesseurs, et peut-être - il est encore trop tôt pour le dire, car les chansons de Leonard Cohen, comme les films de Stanley Kubrick, ne dévoilent souvent toute l'étendue de leurs qualités comme de leurs défauts qu'après une longue cohabitation - est-il le meilleur disque de son auteur depuis les années 80.
Si Dear Heather s'ouvre mollement (Go No More A-Roving, un joli texte de Lord Byron), c'est pour mieux enchaîner sept incroyables chansons (une des plus belle séries de Cohen depuis des lustres), de Because Of, d'une fluidité surnaturelle et dont l'arrangement minimal évoque, lointainement, Swordfishtrombones de Tom Waits par le son curieusement sec de l'instrumentation, à There For You, rythme joyeux pour texte charmant et énigmatique.
Dans Because of, The Letters, Morning Glory, Villanelle For Our Time, ce qui frappe c'est la répétition. Non pas tant musicale, comme nous avait habitué Cohen dans les longs poèmes chantés du début de sa carrière (notamment The Stranger Song), que des paroles : celles-ci sont intégralement répétées dans trois cas sur quatre, tandis que Morning Glory juxtapose en canon, à volume différents, deux chants distincts (tous deux assurés par Cohen) sur les mêmes mots.
Mais la répétition se fait variation car elle s'adjoint des voix féminimes, ou des chœurs. Elle assure aussi la disparition progressive (car sans doute très atteinte par la cigarette) de la voix de Cohen, comme effleurante à chaque instant, masquée tant que possible par les aigus de Sharon Robinson ou d'Anjani Thomas, psalmodiée (l'exceptionnel Morning Glory) ou quasi-récitée (le supérieur Villanelle ...), composant des chansons d'une douceur, d'une onctuosité, d'une chaleur encore plus impressionnantes que les réussites les mieux troussées de Ten News Songs qu'étaient A Thousand Kisses Deep, Here It Is et Boogie Street.
Onctuosité certaine, mais par retrait plus que par accumulation : retrait de la voix, retrait technique aussi, tant il suffit de quelques notes, souvent synthétisées (Cohen possède son propre studio dont les moyens limités conduisent à une production rugueuse et cheap que certains peuvent trouver irritante) pour écrin tout de même soyeux à ce qui fait l'essence d'une chanson de Leonard Cohen : le texte poétique.
N'oublions pas tout de même les merveilleuses lignes mélodiques qui placent Morning Glory ou plus encore Villanelle ... parmi les rares pièces qui tutoient la grandeur immédiate, enveloppant l'auditeur dans la beauté.
Le disque, dans son ensemble fait d'ailleurs forte impression. Et si les dernières plages trahissent un essoufflement (l'éponyme Dear Heather notamment), c'est à l'aune de ce qui a précédé.
Mais que nous réserve désormais Leonard Cohen, qui jamais n'avais poussé si loin l'absence de souci formel et le détachement vocal (Dear Heather, symptomatiquement, ne comporte également que des textes courts, voire très courts - On That Day, Undertow, par ailleurs de grandes chansons -, ou des textes écrits par d'autres) ? On a l'impression à la fois déchirante et joyeuse d'assister à une sorte d'estompement irréversible, quoique magistral, cheminement choisi par l'un des plus grands artistes des quatre dernières décennies vers le crépuscule de sa vie et de carrière.
Par Maltese - 27/10/2004
La répétition
C'est sous ce signe qu'est résolument placé le nouvel - et superbe - album de Leonard Cohen, Dear Heather. Un disque où le poète canadien pousse à l'extrême le minimalisme de son propre chant et de l'orchestration, pour rehausser encore quelques déjà chefs d'œuvres.
On ne plaçait pas, dans le dernier album de Leonard Cohen, autant d'espoirs que suscita l'attente de Ten News Songs. Entre ces deux disques, trois ans seulement se sont écoulés, un délai presque suspect pour le canadien puisqu'il avait fallu patienter neuf ans après la sortie de The Future en 1992, qui lui-même survenait quatre ans après I'm Your Man. Double surprise, Dear Heather, sorti ce mois d'octobre, est au moins aussi bon que ses deux prédécesseurs, et peut-être - il est encore trop tôt pour le dire, car les chansons de Leonard Cohen, comme les films de Stanley Kubrick, ne dévoilent souvent toute l'étendue de leurs qualités comme de leurs défauts qu'après une longue cohabitation - est-il le meilleur disque de son auteur depuis les années 80.
Si Dear Heather s'ouvre mollement (Go No More A-Roving, un joli texte de Lord Byron), c'est pour mieux enchaîner sept incroyables chansons (une des plus belle séries de Cohen depuis des lustres), de Because Of, d'une fluidité surnaturelle et dont l'arrangement minimal évoque, lointainement, Swordfishtrombones de Tom Waits par le son curieusement sec de l'instrumentation, à There For You, rythme joyeux pour texte charmant et énigmatique.
Dans Because of, The Letters, Morning Glory, Villanelle For Our Time, ce qui frappe c'est la répétition. Non pas tant musicale, comme nous avait habitué Cohen dans les longs poèmes chantés du début de sa carrière (notamment The Stranger Song), que des paroles : celles-ci sont intégralement répétées dans trois cas sur quatre, tandis que Morning Glory juxtapose en canon, à volume différents, deux chants distincts (tous deux assurés par Cohen) sur les mêmes mots.
Mais la répétition se fait variation car elle s'adjoint des voix féminimes, ou des chœurs. Elle assure aussi la disparition progressive (car sans doute très atteinte par la cigarette) de la voix de Cohen, comme effleurante à chaque instant, masquée tant que possible par les aigus de Sharon Robinson ou d'Anjani Thomas, psalmodiée (l'exceptionnel Morning Glory) ou quasi-récitée (le supérieur Villanelle ...), composant des chansons d'une douceur, d'une onctuosité, d'une chaleur encore plus impressionnantes que les réussites les mieux troussées de Ten News Songs qu'étaient A Thousand Kisses Deep, Here It Is et Boogie Street.
Onctuosité certaine, mais par retrait plus que par accumulation : retrait de la voix, retrait technique aussi, tant il suffit de quelques notes, souvent synthétisées (Cohen possède son propre studio dont les moyens limités conduisent à une production rugueuse et cheap que certains peuvent trouver irritante) pour écrin tout de même soyeux à ce qui fait l'essence d'une chanson de Leonard Cohen : le texte poétique.
N'oublions pas tout de même les merveilleuses lignes mélodiques qui placent Morning Glory ou plus encore Villanelle ... parmi les rares pièces qui tutoient la grandeur immédiate, enveloppant l'auditeur dans la beauté.
Le disque, dans son ensemble fait d'ailleurs forte impression. Et si les dernières plages trahissent un essoufflement (l'éponyme Dear Heather notamment), c'est à l'aune de ce qui a précédé.
Mais que nous réserve désormais Leonard Cohen, qui jamais n'avais poussé si loin l'absence de souci formel et le détachement vocal (Dear Heather, symptomatiquement, ne comporte également que des textes courts, voire très courts - On That Day, Undertow, par ailleurs de grandes chansons -, ou des textes écrits par d'autres) ? On a l'impression à la fois déchirante et joyeuse d'assister à une sorte d'estompement irréversible, quoique magistral, cheminement choisi par l'un des plus grands artistes des quatre dernières décennies vers le crépuscule de sa vie et de carrière.
Par Maltese - 27/10/2004